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Veuillez noter que ce texte est déjà
paru dans le volume 2 des Cahiers du CIRADE
Rapport aux savoirs technoscientifiques et citoyenneté : un point de vue Jacques Désautels
Prologue On a pu croire pendant un instant que les tentatives inlassablement
répétées des tenants du néolibéralisme
en vue de démanteler l'État au profit d'un marché
globalisé et géré par les capitaines de la finance
internationale, avaient atteint leur but. L'incorporation de la citoyenneté
étant chose faite ou en voie de l'être1,
la société civile s'était bel et bien transformée
en associations soumises et dociles de consommateurs et de consommatrices
(Bauman, 1999) prêts à acheter tous les types de biens que
l'on peut fabriquer, dont les produits culturels et les savoirs. De plus,
le citoyen ou la citoyenne2
ne pensait alors qu'à réaliser son propre profit et à
faire valoir ses droits individuels. Toutefois, des événements
récents indiquent que ce que d'aucuns qualifient de marchandisation
et d'autres de McDonalisation du monde (Barber, 2000) n'a pas été
véritablement achevé. Les forces de l'opposition se sont
regroupées pour faire échec à une certaine idée
économiste de la mondialisation.
1. Les technosciences comme pratiques sociopolitiques Ce n'est pas d'hier que les dimensions sociopolitiques des technosciences sont prises en considération par des philosophes et des sociologues qui s'intéressent à la production des savoirs technoscientifiques. Il n'était pas bien difficile, par exemple, de saisir que la fabrication de la première bombe atomique dans le cadre du projet Manhattan puis son largage sur Hiroshima ne pouvaient êtres dissociés de l'univers social et politique de l'époque (Sassower, 1997). Sur un autre plan, nombre d'études ont montré qu'au cours du siècle dernier, en particulier à l'occasion des deux grandes guerres, les technosciences ont été intégrées au complexe militaro-industriel en Occident, l'expression « Big Science » (Price, 1963) ayant en partie été inventée pour désigner un tel processus qui s'accompagnait d'ailleurs d'une croissance exponentielle du nombre de scientifiques. De la même façon, si on en croit les discours publics, on considère de nos jours que les technosciences constituent le fer de lance de la « nouvelle économie » dans une société du savoir. Par exemple, à l'occasion de la publication d'un mémoire sur la science et la technologie dans la réforme du curriculum de l'enseignement primaire et secondaire, le Conseil des Sciences et de la Technologie du Québec (CSTQ), qui joue un rôle important dans l'orientation de la politique scientifique au Québec, formule ce type de discours à propos des technosciences : La science et la technologie sont les moteurs de l'innovation et se situent donc au cœur du développement économique des sociétés contemporaines. Ce qui caractérise la société du savoir et l'économie de l'innovation c'est précisément la prééminence du rôle que jouent désormais les connaissances scientifiques et l'innovation technologique dans l'environnement social, culturel, économique et politique. (1998, p. 3) On ne peut être plus clair. Les technosciences seraient associées étroitement aux aspects culturels, économiques et politiques de la vie en société. Mais comment doit-on envisager cette association ? Est-il encore pertinent, à l'instar du CSTQ, de penser la socialité des technosciences comme si celles-là n'avaient que des effets sociaux et n'étaient pas elles-mêmes des productions sociales ? La question me semble importante dans la mesure où la représentation que l'on se fait de la socialité des technosciences est déterminante dans la construction de notre rapport à ces savoirs et à ceux et celles qui les détiennent, c'est-à-dire les experts et les expertes scientifiques. Mais que nous apprennent les travaux contemporains à propos de la socialité des sciences ? 1.1 Les technosciences comme pratiques sociales Les travaux en philosophie, en histoire, en sociologie
et en anthropologie des sciences des trente dernières années
(Biagioli, 1999 ; Pickering, 1992) ont contribué à l'élucidation
du caractère idéologique de ce que Bimber et Guston (1995)
nomment l'exceptionnalisme épistémologique des sciences.
En effet, il a longtemps été tacitement admis par ceux et
celles qui conduisent des travaux en épistémologie des sciences
qu'il existait un noyau dur, c'est-à-dire les savoirs scientifiques,
qui ne pouvaient être étudiés en tant que tels par
des sociologues ou des anthropologues. Seuls les scientifiques de la discipline
concernée avaient la crédibilité nécessaire
pour tenir un discours pertinent sur la production et la nature de ces
savoirs. Les sociologues pouvaient certes étudier l'organisation
et le fonctionnement des technosciences comme ceux des autres institutions
sociales (financement, système de promotion, collèges invisibles,
normes cognitives et éthiques, etc.), mais il leur était
interdit de se prononcer sur la valeur du contenu scientifique dont on
prétendait qu'il transcendait les contingences sociales de sa production.
Autrement dit, par un processus plus ou moins ésotérique
que l'on peut comparer au mystère de l'Immaculée conception
(Fuller, 1997), le savoir scientifique produit en société
était débarrassé de ses scories idéologiques
ou métaphysiques et acquérait ainsi des propriétés
quasi divines (objectivité, universalité, transcendance,
etc.). Bien plus, en particulier dans les milieux scolaires, on prétendait
que ceux et celles qui pratiquaient la forme d'ascétisme méthodologique
requis pour faire des sciences développaient, à la longue,
une personnalité reflétant ces mêmes propriétés.
Ces scientifiques adeptes de la désincarnation se transformaient
en êtres neutres, capables de faire fi de leur subjectivité
et de porter un regard détaché sur les choses. Or, à
l'encontre de ces thèses, il a pu être montré que les
technosciences sont en quelque sorte sociales de part en part, en amont
comme en aval, du processus de production des savoirs.
A closely related genre of recent studies has emphasized understanding the evidentiary context, the socially negociated conventions and criteria for coming to local agreement about the outcome of experiments, about the technical and performative conditions for replicating experiment, agreement about what constitutes competent performance and about the standard of trust and evaluation. (p. 70) Par ailleurs, chacune des expériences réalisées
en laboratoire convoque de proche en proche de grands pans du vaste réseau
des technosciences. Ainsi, les scientifiques doivent faire confiance aux
fournisseurs de produits ou d'animaux standardisés, à leurs
collègues de diverses disciplines qui jugent de la valeur des savoirs
sur lesquels ils et elles s'appuient, aux fabricants d'instruments, de
même qu'aux théories dont ces instruments sont la matérialisation.
En ce sens, ces savoirs sont donc marqués par les contingences de
divers ordres (matérielles, symboliques, économiques, sociales,
etc.) constitutives des conditions locales de leur production. Dès
lors, leur caractère soi-disant universel, qui suppose que les scientifiques
adoptent une position surplombante par rapport à un objet d'étude6
, relève de la fiction, voire d'une mystification, tout comme la
mise en œuvre d'une méthode particulière de travail, LA MÉTHODE
SCIENTIFIQUE, afin de résoudre les problèmes qu'ils et elles
ont conçus et mis en forme. De fait, leurs pratiques théoriques
et empiriques diversifiées et enchevêtrées ressemblent
davantage à un bricolage intellectuel et matériel collectif
qu'à une activité cérébrale générée
par un esprit désincarné, situé hors du monde, qui,
en solitaire, pense une théorie ou conçoit une expérimentation.
Mais comment expliquer que ces produits circonstanciels et contingents,
publiés sous la forme d'énoncés qui font référence
à leurs conditions de production (Si ... a,b,c, ...
Alors...
x,y,z), acquièrent une certaine robustesse et une acceptabilité
régionale voire, dans certain cas, internationale ?
Les savoirs sont toujours produits localement, et leur transport dépend du transport des dispositifs matériels, humains, techniques auxquels ils sont attachés. La généralité du savoir se construit pas à pas par déplacement, chaque déplacement enrichissant et transformant les savoirs eux-mêmes. On duplique les laboratoires et non pas les énoncés. (p. 73) 1.2 Les technosciences performatives du social L'une des leçons que l'on peut tirer des travaux
que je viens rapidement d'évoquer c'est que, d'une part, les technosciences
produisent des savoirs relatifs puisqu'ils sont tributaires de leurs conditions
locales de production et que, d'autre part, elles constituent de véritables
pratiques sociales. Il n'est donc plus possible, comme le soutient pourtant
le CSTQ, de réduire la socialité des technosciences à
leurs effets sociaux, comme si elles n'étaient pas elles-mêmes
des pratiques sociales. Bien plus, il est dorénavant nécessaire
de saisir que le social se fabrique au sein même des laboratoires
dans la mesure où l'on y produit des entités, des êtres
qui peuvent entrer dans la composition de notre monde commun, et ainsi
reconfigurer les relations sociales. Les cas rapidement évoqués
dans le paragraphe qui suit sont autant d'illustrations de ce que Callon
(1999) nomme la performation du social.
1.3 Les technosciences et la société du risque On peut penser que, après coup, Pasteur devait savoir que c'est en recréant dans le milieu les conditions qui prévalent dans le laboratoire qu'il pouvait raisonnablement s'attendre à ce que les microbes se conduisent de manière disciplinée. Certes, il existait des possibilités de dérapage mais, quoi qu'il en soit, au moins sur le plan de la rhétorique, les scientifiques de cette époque prétendaient que des contrôles serrés en laboratoire permettaient de minimiser les risques de divers ordres lors des essais dans le milieu. C'est d'ailleurs pour ces mêmes raisons que, en 1975, des scientifiques américains ont signé le protocole d'Asilomar sur le confinement des expériences portant sur la recombinaison de l'ADN. Mais depuis ce Woodstock de la biologie moléculaire, selon l'expression de Barinaga (2000), les positions ont bien changé si on en croit certains scientifiques, dont le biologiste français bien connu Jacques Testart. À son avis, les essais plein champ réalisés avec des plantes transgéniques ne peuvent permettre un contrôle rigoureux de l'évolution de la situation sur le terrain. Ainsi, les betteraves transgéniques, capables de résister aux herbicides, ont déjà vu passer leur gène de résistance à des mauvaises herbes environnantes ; ainsi, le colza transgénique résistant à l'herbicide Basta s'est montré capable de répandre son pollen jusqu'à plusieurs kilomètres - alors que les experts lui accordaient 500 mètres - et de féconder des variétés sauvages en générant des hybrides fertiles - dont les experts affirmaient pourtant la stérilité... Autre risque : qu'on sélectionne des parasites résistants aux insecticides en utilisant des plantes transgéniques produisant des toxines de bactéries capables de tuer des insectes. Des planteurs en ont fait la douloureuse expérience en investissant dans un coton transgénique qui ne résista pas aux parasites aussi bien que promis, mais induisit une telle résistance chez les insectes qu'il devint nécessaire de distribuer des pesticides en abondance. Les experts avouent que l'évaluation n'est possible que dans les conditions réelles et focalisent l'essentiel de leurs discours sur les procédures de « biovigilance » sans qu'il soit certain que ces procédures suffisent à contenir le risque encouru. (1998, p. 15) La situation à laquelle Testart fait référence indique qu'il y a eu un changement important dans la manière de produire des savoirs scientifiques puisqu'il serait même nécessaire de court-circuiter l'étape des tests de laboratoire ce qui, on en conviendra, fait courir des risques à la population sans que celle-là ait été consultée. Mais peut-on dire qu'il s'agit là d'une position alarmiste ? Il ne semble pas, si on se fie aux propos de Jean-Pierre Berlan, directeur de recherche à l'INRA (Institut National de Recherche Agronomique, France), et de Richard Lewontin, professeur de génétique des populations à l'université Harvard, qui estiment que les conséquences pour l'environnement et la santé des populations de la diffusion de plantes modifiées génétiquement sont totalement inconnues à ce jour (Berlan & Lewontin, 1998). C'est d'ailleurs en référence à ce type d'expérience que Beck (1992, 1997) soutient que nous vivons dans une société du risque manufacturé puisque qu'elle est devenue le laboratoire dans lequel les scientifiques conduisent des essais plus ou moins contrôlés dont les effets peuvent éventuellement affecter l'ensemble des citoyens et des citoyennes. Tout le monde est exposé, presque sans protection, aux hasards de l'industrialisation (vache folle, radiations nucléaires, contaminations diverses, etc.). Les hasards sont les passagers clandestins de la vie normale du consommateur. Ils voyagent sous le vent et dans l'eau, ils sont dissimulés partout et dans chacun et chacune, et ils sont transmis avec les nécessités de la vie : air, nourriture, habillement, au travers toutes les zones de protection de la modernité. (1997, p. 21) On doit reconnaître que, pour un bon nombre de scientifiques,
voire pour une majorité d'entre eux, les propos de Testart, Berlan,
Lewontin et Beck seraient carrément alarmistes et qu'il n'y aurait
pas lieu de s'inquiéter outre mesure. En fait, comme le souligne
Adam (2000), pour ceux et celles qui font la promotion de la production
de plantes transgéniques, celles-là comporteraient plutôt
de nets avantages par rapport aux plantes indigènes. Il serait éventuellement
possible de produire davantage de plantes comestibles, plus nutritives,
ayant meilleur goût, et dont la croissance exigerait moins d'engrais,
d'herbicides et de pesticides. On pourrait même accroître la
biodiversité et favoriser le développement durable. En somme,
s'agissant des OGM, tout comme de la xénotransplantation (Weiss,
1997) et du génie génétique (Atlan, 1999), nous avons
affaire à des objets controversés au sein même des
communautés scientifiques. Leur production, de même que leur
diffusion, constituent d'ailleurs des enjeux sociopolitiques et économiques
majeurs, comme l'indique la dernière conférence internationale
sur la biodiversité ayant réuni, sous les auspices des Nations
Unies, des représentants de 130 pays en janvier 2000 à Montréal.
Au terme de discussions musclées, un compromis a été
atteint et le protocole de biosécurité qui a été
signé stipule que les pays exportateurs devront étiqueter
les produits qui contiennent des OGM. Par ailleurs, un pays n'aura pas
besoin de prouver qu'un produit contenant des OGM est dangereux pour exercer
son droit d'en interdire l'importation.
2. Intermezzo ! Une conversation autour des technosciences
et de la démocratie
3. Rapport au savoir : une illustration Il n'est pas inutile en certaines occasions de proposer
une définition formelle d'un concept ne serait-ce que pour fournir
une indication quant à la signification qui lui est attribuée.
Ainsi, Charlot, Bautier et Rochex (1992) estiment que l'on doit saisir
le concept de rapport au savoir comme: « une relation de sens, et
donc de valeur, entre un individu (ou un groupe) et les processus et produits
du savoir » (p. 29), et, pourrait-on ajouter, une relation à
ceux et celles qui les produisent et les détiennent de même
qu'aux institutions dans le cadre desquelles ce savoir est fabriqué.
Dès lors, comme le souligne Rochex (1995), ce concept renvoie à
un ensemble complexe d'appréciations (valeur attribuée au
savoir, statut accordé à ceux et celles qui les détiennent,
etc.) qui amènent tout un chacun, consciemment ou non, à
prendre position en fonction de sa compréhension des différents
enjeux qui se présentent aux acteurs et aux actrices sociaux. Et
c'est cette relation construite au fil des expériences sociales,
notamment scolaires, qui amène les personnes à se sentir
plus ou moins aptes à participer à la définition des
problématiques sociotechniques ou encore plus moins capables de
dialoguer d'égal à égal avec les experts et les expertes.
Mais voyons, à travers un exemple, comment le concept de rapport
au savoir joue dans la manière dont on peut décoder une situation
courante, dans ce cas, un événement scientifique qui fait
la manchette11 . J'utiliserai
à cette fin la technique de réécriture des textes
mise au point par Fourez (1985), afin de contraster leurs orientations
idéologiques ou épistémologiques. En fait, il s'agit
simplement de réécrire un premier texte en s'inspirant d'une
autre position, ce qui permet en quelque sorte de « voir »
que nous sommes bien en présence de points de vue différents
sans que l'on ait nécessairement (Mathy, 1997) à suivre pas
à pas les détails très fins d'une analyse de discours.
Il est assez aisé de noter que les journalistes
de ce scénario virtuel produisent des discours qui traduisent des
rapports aux savoirs technoscientifiques forts différents. Le journaliste
A semble fasciné par le discours publié dans la revue Nature
alors que le journaliste B semble avoir développé un quant
à soi, un regard critique, à propos de ce que l'on y raconte.
Le journaliste A, comme plusieurs journalistes scientifiques, décrit
les « exploits » des scientifiques comme si ces derniers et
ces dernières avaient un accès privilégié au
réel dont ils ne feraient qu'une description fidèle. Ainsi,
les gènes seraient des choses concrètes localisées
sur des chromosomes un peu comme des framboises dans un framboisier. Il
serait possible d'en produire une image détaillée (ACGT)
comme il est possible de le faire pour une framboise en la dessinant ou
en la photographiant. Son collègue, le journaliste B, adopte une
stratégie discursive fort différente indiquant qu'il adopte
une autre position sur le plan épistémologique. D'emblée,
il fait référence à la théorie standardisée,
celle autour de laquelle un consensus s'est établi au sein de la
communauté scientifique et en fonction de laquelle on oriente la
recherche, plutôt que de laisser entrevoir que l'activité
scientifique consiste simplement à décoder la réalité
ontologique. De plus, il spécifie que ce que l'on nomme gène
dans ce contexte est un modèle moléculaire et non pas une
chose que l'on décrit comme le laissait entendre son collègue.
Ainsi, dans un premier mouvement, le journaliste A situe l'activité
scientifique dans un monde de choses données à voir, et duquel
les sujets seront éventuellement évacués, alors que
son collègue situe cette même activité dans un monde
de sujets qui produisent des objets de savoir (théories, modèles,
etc.) afin de répondre à leurs questions de recherche. Autrement
dit, le discours du journaliste A ferme la porte à toute discussion
possible sur la nature même des entités nommées gènes
et chromosomes dont les seuls porte-parole légitimes seraient les
scientifiques. À l'opposé, le discours de son collègue
recèle une telle possibilité de discussion car, par définition,
modèles et théories peuvent être questionnés
et leur portée appréciée.
Conclusion On conviendra que, la plupart du temps, le type de discours
véhiculé dans nos médias correspond davantage à
celui formulé par le journaliste A qui pourrait difficilement engager
une discussion avec des experts et des expertes scientifiques compte tenu
de la position qu'il adopte à l'égard de leurs savoirs. La
relation qu'il a construite plus ou moins tacitement à l'égard
de ces derniers ne peut guère constituer une source d'émancipation,
car il est difficile de questionner le statut des savoirs qui disent le
VRAI et de contester le discours de ceux et celles qui en sont les porte-parole
officiels. Mais comment expliquer la genèse de cette forme d'anesthésie
épistémologique (Darré, 1999) qui conduit beaucoup
de personnes à nier la valeur de leur propre position, à
la considérer comme un simple point de vue dans leurs relations
aux experts et aux expertes ?
Yet when we examine research at the cutting edge of science, we can « see » a knowledge which is quite different from that enshrined in the school curriculum. It involves debates and struggles about what is to be studied and how. Further, the conception of knowledge used by research scientists privileges strategies to make the familiar strange, to think about the mysterious and the unfamiliar, and to raise questions precisely about that which is taken for granted. The rules of curriculum are quite different as they privilege the stable, fixed and categorical properties of knowledge, even in recent « constructivist pedagogies ». [...] The alchemy that makes the world and events seem to be things of logic removes any social mooring from knowledge. The debate and struggle that produced disciplinary knowledge are glossed over, and a stable system of ideas is presented to children. (p. 97). Ces savoirs, coupés des procès sociaux qui les produisent, ne pourront faire l'objet d'une mise en question de la part des élèves. Ces derniers finiront d'ailleurs par se persuader que leurs savoirs d'expérience, ceux qu'ils ont élaborés dans leur milieu socioculturel d'origine afin de donner un sens aux événements, aux phénomènes constitutifs de leur univers et d'agir ainsi efficacement en contexte, n'ont pas vraiment de valeur ou encore, beaucoup moins de valeur que les savoirs enseignés à l'école. D'ailleurs, celle-là distingue très tôt les grosses et les petites matières contribuant ainsi à la re-production de la hiérarchie sociale arbitraire des savoirs (Messer-Davidov, Shumway, & Sylvan, 1993) et au maintien de la distribution inégale du pouvoir dans nos sociétés. Dès lors, l'engagement du plus grand nombre de citoyens et de citoyennes dans les débats sociotechniques liés à la production et aux usages des savoirs scientifiques suppose que l'on repense la question des savoirs technoscientifiques à l'école et, en particulier, la conception du rapport au savoir dont on souhaite faire la promotion. Ouvrages cités ADAM, B. (2000). « The temporal gaze : The challenge for social theory in the context of GM food », British Journal of Sociology, vol. 51, nº 1, p. 125-142. ATLAN, H. (1999). La fin du « tout génétique »? Vers de nouveaux paradigmes en biologie, Paris, Éditions INRA. BARBER, B.B. (2000). « Vers une société universelle de consommateurs. Culture McWorld contre démocratie », In M. ELBAZ & D. HELLY (dir.), Mondialisation, citoyenneté et multiculturalisme, Québec et Paris, Presses de l'Université Laval et L'Harmattan, p.211-221. BARINAGA, M. (2000). « Asilomar, vingt-cinq ans après », La Recherche, nº 332, juin, p. 82-84. BARTHE, Y. & RÉMY, É. 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1. Selon Bourque, Duchastel & Pineault (1999), la citoyenneté corporative « produit la soumission de la régulation politique à la régulation technojuridique et celle de l'État démocratique à l'État de droit. Formée des acteurs corporatifs dans le champ des pratiques économiques et des individus incorporés dans des groupes de proximité au sein de l'espace culturel [ethnie, langue, appartenance sexuelle, etc.], la citoyenneté corporative interpelle le tribunal plutôt que le parlement » (p. 61). L'arbitrage des conflits dans le cadre de l'ALENA témoigne de ce renversement des rapports entre le législatif et le technojuridique. Par ailleurs, le recours de plus en plus fréquent aux tribunaux pour obtenir des avis sur les droits fondamentaux constitue une indication de la progression de la judiciarisation des rapports sociaux. 2. Dans ce court essai, le concept de citoyenneté sera envisagé sous l'angle particulier de certaines des conditions nécessaires à la participation des individus et des groupes aux débats publics liés à la production et aux usages des technosciences. Il s'agit d'une dimension centrale du concept de citoyenneté, à tout le moins dans la perspective de Locke pour qui, selon Capitan (2000), la participation à la vie publique donnerait sa pleine mesure à la condition humaine. 3. Ce projet d'accord a été préparé sous les auspices de l'Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE) et négocié plus ou moins en secret par les vingt-neuf pays les plus riches de la planète. Véritable charte des droits du capital et du nouveau « citoyen investisseur » selon l'expression utilisée par Wallach (1998), cet accord visait à accorder aux multinationales un ensemble de droits inaliénables ce qui, selon Pineault (1999), « aurait provoqué un renversement complet du rapport institué pendant la modernité entre la souveraineté politique des États et la puissance organisationnelle des acteurs économiques " privés " » (p. 34). Autrement dit, la souveraineté des États aurait été réduite à la portion congrue et subordonnée à celle d'un nouvel ordre économique mondial. 4. Les différents groupes qui ont participé aux événements de Seattle ne partageaient pas nécessairement les mêmes intérêts. On peut penser que leur alliance en vue de contrer les projets de l'OMC avait quelque chose de stratégique et qu'il sera donc nécessaire de poursuivre le dialogue en vue d'assurer la pérennité et la solidité du réseau. 5. Il est nécessaire de rappeler que cette coalition a été organisée pour protester contre le fait que le gouvernement a suspendu dans cette affaire les mécanismes habituels de la consultation publique en évoquant l'urgence de la situation consécutive à la célèbre tempête de verglas de l'hiver 1998. 6. Les anglophones utilisent l'éloquente expression « a god's eye view of the world » en référence à cette possibilité pour l'observateur de se situer en extériorité et de s'abstraire du monde auquel il participe. Cette expression est difficile à traduire, mais il est aisé de comprendre que l'adoption d'une telle position est le privilège de ceux et celles qui ont les mêmes attributs que Dieu. 7. Le réseau international des stations météorologiques constituent un exemple paradigmatique de cette possibilité. Il n'y a plus qu'une manière légitime de dire le temps. Les savoirs locaux et traditionnels perdent toute valeur au profit de ceux qui sont produits à l'intérieur de cet immense réseau. Or, il importe de se rappeler que l'hégémonie d'une forme particulière du savoir à une époque ne lui confère pas un caractère universel indépendant des contingences de sa production. 8. Selon Fourez Englebert-Lecompte et Mathy (1997), ce que l'on nomme l'universalité des savoirs scientifiques résulte d'un processus similaire à celui qui consiste à imposer la langue anglaise comme langue universelle. Voici comment ils articulent ce point de vue : « suite à de multiples rapports de force, résistances, négociations et impositions, cette langue est devenue le passage obligé (et imposé) pour ceux qui veulent participer à certains échanges. Ainsi en est-il des conceptualisations des sciences qui, peu à peu, éliminent d'autres connaissances au profit de celles que la communauté scientifique a standardisées » (p. 17). 9. Les « microbes » font désormais partie intégrante de notre sens commun et les enfants apprennent en bas âge que ces « bibites » adorent la saleté et transportent des maladies. C'est à tout le moins ce que révèlent nombre d'études (René & Guilbert, 1994 ; Simonneaux, 2000) qui par ailleurs montrent que ces conceptions élaborées dès la tendre enfance tendent à se perpétuer même chez ceux et celles qui ont fréquenté l'enseignement des sciences. La situation était fort différente à l'époque de Pasteur et ce n'est qu'au terme d'un long cheminement que les microbes ont acquis le droit d'être, c'est-à-dire de devenir des acteurs dont on tient compte dans la construction de la réalité sociale. 10. L'ethnologue Darré (1999) qui a étudié les interactions entre des paysans et des experts en milieu agricole français souligne ce qui suit à propos de leurs relations : « Et lorsque ces deux là [conseiller technique agricole et agriculteur] discutent de questions techniques, la dissymétrie des positions sociales passe par la valeur, sociale, attribuée à leurs façons respectives de connaître la réalité. Du point de vue de la connaissance, rien ne permet de décider que l'une ou l'autre est supérieure à l'autre - ou alors il faudrait disposer de l'étalon d'un point de vue de Dieu. S'il y a inégalité de valeur - et il y a - elle est sociale » (p. 136). 11. Ce scénario est inspiré d'une situation réelle, soit le contenu du journal télévisé du dimanche soir à Radio-Canada. Lors d'une des émissions l'animatrice Michèle Viroly recevait en entrevue le journaliste scientifique Jean-Pierre Rogel afin que ce dernier commente la nouvelle parue dans la revue Nature à propos du séquençage du chromosome vingt-deux. Le discours du journaliste à cette occasion ressemblait davantage au discours du journaliste A qu'à celui du journaliste B. Cela ne signifie pas que Jean-Pierre Rogel aurait pu dans d'autres circonstances produire un autre discours, mais la forme que revêt le bulletin de nouvelles n'est guère propice à la formulation de positions nuancées.
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