L'apprentissage par problèmes
ou comment détruire le mythe de « la »1
démarche scientifique
Louise GUILBERT, professeure agrégée en
didactique des sciences
Université Laval, Québec
Résumé
Depuis Claude Bernard, la conception de « la
» démarche scientifique chez les épistémologues
contemporains et chez les didacticiens a considérablement évolué.
Elle n'est plus conceptualisée comme une suite d'étapes de
type OHERIC. En effet, commence-t-on par une observation, une hypothèse,
un problème, une question, un intérêt ? Est-ce une
démarche linéaire ou itérative ? Ne comporte-t-elle
que quelques étapes ou plusieurs dizaines ? Est-ce une logique heuristique
ou argumentative ? Est-ce une démarche ou une méthode ? Est-elle
propre aux sciences seulement ? Cette démarche est encore, malheureusement,
retrouvée trop souvent dans des volumes de sciences. Elle est présentée
comme « la » démarche suivie méthodiquement par
les scientifiques. Afin de favoriser la complexification des conceptions
des futurs enseignants face à « la » démarche
scientifique, nous aurions pu faire une rétrospective historique
ou ethnographique concernant la science en action. Nous avons plutôt
opté pour une approche par problèmes. Les futurs enseignants
étaient placés dans une situation réelle et avaient
à élaborer, en groupe, leur modèle explicatif concernant
un phénomène biophysique. Par la suite, dans un mini-colloque
scientifique, ils présentaient leur modèle à leurs
pairs afin d'en faire évaluer la recevabilité. Les étudiants
devaient aussi s'enregistrer et catégoriser les diverses étapes
de leur cheminement intellectuel. Les résultats sont très
encourageants. Les futurs enseignants de sciences réalisent que
pour élaborer leur modèle, ils n'ont pas suivi une démarche
linéaire en six étapes. De plus, ils prennent conscience
de divers facteurs inhérents à la construction de nouveaux
savoirs - connaissances antérieures, créativité, contraintes
- et, surtout, du rôle déterminant de la justification auprès
des pairs. En termes de prospectives, nous proposerons des pistes pour
adapter cette approche par problèmes avec des élèves
de sciences afin qu'eux aussi puissent goûter à l'excitation
d'une « découverte scientifique ».
Pourquoi enseigne-t-on les sciences ?
Les divers documents consultés, traitant des finalités
de l'enseignement des sciences, peuvent se classifier, selon nous, au moins
en trois grandes catégories : ceux ayant une visée utilitariste
et technocratique, ceux ayant une visée humaniste et, finalement,
ceux ayant une visée démocratique. Un document relativement
récent du Conseil de la science et de la technologie sur la culture
scientifique et technologique où on souligne que : « La prise
de conscience par la société, qu'à sa demande, la
science et la technologie pourraient être mieux utilisées
comme outils de son développement économique et social »
(1994, p.14), se classe résolument dans cette visée technocratique
ou, dit d'une autre façon, dans le paradigme industriel (Bertrand,
1978, 1979). La deuxième catégorie, à visée
humaniste, est davantage influencée par le paradigme libéral.
La capacité d'adaptation des personnes est alors la finalité
visée, compte tenu d'un monde technique en changement rapide et
de la somme énorme d'informations à traiter. La troisième
catégorie, quant à elle, comporte une visée éthique
et démocratique. Elle cherche à permettre aux citoyens et
citoyennes de participer pleinement aux débats sociaux et de prendre
position d'une façon éclairée, consciente et critique.
Cette dernière catégorie s'inscrit davantage dans la foulée
de la pédagogie émancipatoire où le pouvoir est remis
entre les mains des acteurs qui ne sont plus à la merci des experts.
Jenkins (1994), quant à lui, parle aussi d'une culture scientifique
pour l'action, ce que nous avions déjà traité sous
l'appellation d'une pensée critique en science (Guilbert, 1990).
Souvent, les enseignements informels en sciences de la nature favorisent
le développement d'une idée de science plus ou moins désincarnée
et objective, une idée de science « pure ». Cette façon
de faire se répercute jusqu'à l'université où
malheureusement, perdure encore une certaine vision empiriste de la science
chez les futurs enseignants (Guilbert, 1992 ; Guilbert et Meloche, 1993).
Dans cette dernière recherche, c'est la démarche scientifique
qui retient le plus l'attention des futurs enseignants comme caractéristique
principale de la science. En effet, presque la moitié des unités
de signification relatives à la nature de la science réfèrent
à la méthode ou à la démarche à suivre
: « Dans les sciences, il y a une méthode ; tu as une démarche
scientifique, une façon de procéder toujours rigoureuse »
dit un étudiant ; « Une démarche scientifique, il y
a des étapes très précises à observer pour
obtenir une démarche valable » ajoute un autre. On retrouve
aussi l'idée d'une réalité directement accessible
à l'observateur pour laquelle les lois de la nature sont préexistantes
au chercheur et où il ne suffit que de les découvrir et de
les révéler à la connaissance : « Les premiers
pionniers (Darwin, Einstein) ont fait ressurgir les grandes lois, leurs
lois, leurs théories existent. Ces grands ont ouvert des portes
». Il semble aussi, d'après certains étudiants, qu'il
soit même possible de distinguer le vrai du faux : « Les expériences
vont permettre, avec le moins de temps possible et le moins d'argent possible,
de répondre aux questions de départ, d'éliminer les
fausses réponses et de cerner les bonnes » . La « fameuse
» démarche scientifique semble donc au cœur de la vision empiriste
de la science que démontrent ces futurs enseignants de science.
Mais qu'est-ce au juste que la démarche scientifique ?
« La » démarche scientifique
Selon Fourez (1991, p. 65), « On ne peut réduire
les multiples méthodes des scientifiques à une mythique méthode
scientifique. Lorsqu'ils travaillent, les scientifiques utilisent l'ingéniosité
des artisans et des diplomates pour arriver à leurs fins [...] Une
fois constatée la relativité des méthodes par lesquelles
les scientifiques négocient leurs preuves, il faut aussi insister
sur la cohérence qu'elles peuvent présenter [...] Il faut
pourtant se garder de croire que la pratique concrète des scientifiques
suit exactement ce qu'il disent qu'ils font. » Depuis Claude Bernard,
peu d'épistémologues contemporains, d'historiens ou de sociologues
des sciences, sinon aucun, soutiennent encore qu'il existe « une
» démarche scientifique. Alors, comment se fait-il qu'on retrouve
encore cette appellation dans les manuels scolaires et les programmes de
sciences de la nature et ce, tant au primaire, au secondaire qu'au collégial
? Même dans un document sur la « Formation générale
des collèges pour le Québec du XXIe » (Conseil des
collèges, 1992) du cours complémentaire « Culture scientifique
et technologique », on peut lire : « Énumération
ordonnée et description sommaire des caractéristiques essentielles
des principales étapes de la démarche scientifique type.
» (p.91)
Malheureusement, il existe encore des pédagogues qui veulent
enseigner la démarche scientifique sous la forme d'une séquence
donnée d'étapes fixes. Dans un récent volume (édité
par lui-même), Edmund (1994) propose 14 étapes concernant
« the scientific method » : (1) observation, (2) détermination
du problème, (3) élaboration des objectifs et planification,
(4) recherche de données, (5) élaboration de solutions alternatives,
(6) évaluation des données, (7) formulation de l'hypothèse,
(8) vérification de l'hypothèse, (9) conclusion, (10) jugement
suspendu, (11) mise en œuvre, (12) motivation et sensibilité, (13)
utilisation des qualités personnelles, (14) application d'habiletés
de pensée, de méthodes et de procédés (Traduction
personnelle). Il est par contre rassurant de constater que d'autres réalisent
les limites inhérentes à un tel enseignement (Millar, 1994).
En effet, Klapper (1995) se questionne sur la part de la pensée
créative dans le processus de construction du savoir. Selon lui,
pour développer une culture scientifique authentique il faut entrevoir
les limites méthodologiques, avoir une perspective historique ainsi
qu'une compréhension du rôle de la créativité.
Un autre, Simonelli (1994), met à jour les lacunes dans l'utilisation
de la méthode scientifique lorsque les caractéristiques physiques
et mentales de la science ne sont pas arrimées aux qualités
émotionnelles et spirituelles de la vie ainsi qu'à la vision
holistique universelle (« universal connectedness ») comme
dans certaines cultures amérindiennes. Sorey et Carter (1992), quant
à eux, vont aussi dans le même sens que notre approche car
ils font réaliser à leurs élèves, à
l'aide de l'apprentissage par problèmes, que les scientifiques se
posent des questions, mais formulent rarement des hypothèses formelles.
De plus, ils insistent pour que les résultats expérimentaux
ne soient pas perçus comme des faits.
C'est donc dans cette foulée que s'inscrit cette recherche pédagogique
de type expérientiel visant à : (1) illustrer une stratégie
constructiviste en communauté de recherche ; (2) complexifier la
conception des futurs enseignants de sciences concernant « la »
démarche scientifique ; (3) faire vivre une démarche de production
de connaissances scientifiques par la création de modèles
; (4) permettre le développement d'habiletés métacognitives
(processus intellectuels et sentiments) ; (5) faire prendre conscience,
par l'intérieur, de l'épistémologie d'une communauté
de recherche (contraintes, négociation, processus de production
d'un nouveau savoir, limites, rôles des connaissances antérieurs,
des biais, etc. ; 6) illustrer une démarche d'enseignement intégré
(biologie et physique).
Afin d'examiner l'atteinte de ces objectifs, nous présenterons
plusieurs types de résultats : (1) une analyse qualitative des divers
schémas synthèses présentés par les équipes
décrivant leur processus de création d'un modèle théorique
; (2) une analyse qualitative des proportions relatives aux diverses étapes
utilisées à travers ce processus ; (3) des extraits de verbatim
concernant les aspects métacognitifs de leur démarche et
leurs diverses prises de conscience ; (4) une analyse qualitative des réponses
obtenues à un examen semestriel. Avant de débuter l'interprétation
de ces résultats, nous présenterons brièvement le
contexte méthodologique pour terminer par une analyse critique et
des pistes didactiques.
Contexte méthodologique
Afin de permettre aux futurs enseignants de sciences de
complexifier leur conceptions concernant la démarche de connaissance
utilisée par les scientifiques dans la construction du savoir, nous
avons utilisé une démarche d'apprentissage par problèmes.
Les futurs enseignants de sciences étaient en deuxième année
d'étude (durée de quatre ans). Ils étaient inscrits
à un cours de didactique des sciences dont un des points majeurs
traitait de l'épistémologie et des relations science-technologie-société.
Il y avait environ 25 étudiants répartis en équipes
de travail de cinq à six membres. La démarche d'apprentissage
par problèmes (APP) s'effectuait dans le cadre normal du cours et
les résultats étaient notés comme un travail obligatoire.
Lors de la mise en œuvre de l'atelier, aucun enseignement formel n'avait
été fait concernant « la » démarche scientifique.
Cet atelier a été répété par nous et
d'autres didacticiens, pendant cinq années pour environ cinq à
sept groupes à chaque fois et ce, à partir de deux problèmes
différents. Nous avons toujours obtenu sensiblement les mêmes
résultats, que nous présentons plus loin. La formule pédagogique
utilisée est l'apprentissage par problèmes (APP ou «
problem-based learning »). Elle pourrait se définir ainsi
:
« Processus de résolution d'un problème
complexe où les participants, regroupés par équipes,
travaillent ensemble à chercher des informations et à résoudre
un problème réel ou réaliste proposé de façon
à développer des compétences de résolution
de problèmes et à faire en même temps des apprentissages
de contenu. » (Guilbert et Ouellet, 1997, p. 64)
Dans l'apprentissage par problèmes, les apprenants,
regroupés par équipes, travaillent ensemble à résoudre
un problème généralement proposé par l'enseignant.
Ils n'ont reçu aucune formation particulière relativement
à ce problème. Ainsi, les apprentissages de contenu et les
compétences de résolution de problèmes sont à
développer. La tâche de l'équipe d'apprenants est habituellement
d'expliquer les phénomènes sous-jacents au problème
et de tenter de le résoudre dans un processus itératif. La
démarche est guidée par l'enseignant qui joue un rôle
de facilitateur. Il existe une variante de l'apprentissage par problèmes
tel que décrit initialement par Barrows (1986), c'est « l'apprentissage
par problèmes micro », c'est-à-dire à petite
échelle soit sur une seule période de cours (de 50 à
180 minutes).
« La recherche d'information se fait alors dans
les volumes mis à la disposition des apprenants par l'enseignant,
par expérimentation, par le recours aux pairs, en se basant sur
les expériences antérieures ou simplement par raisonnement
logique. » (Guilbert et Ouellet, 1997, p. 67)
C'est cette forme d'apprentissage par problèmes,
de type micro, que nous avons utilisée avec les futurs enseignants
de sciences afin de démystifier les étapes de « la
» démarche scientifique. Les étudiants étaient
donc placés devant une situation problème. Dans ce cas-ci
la tâche consistait à expliquer comment l'utilisation de lunettes
avec un filtre rouge et un filtre bleu pouvait donner une vision en trois
dimensions à partir de dessins où des lignes bleues et rouges
étaient décalées de manière plus ou moins espacées.
Les activités étaient divisées en trois temps : l'expérimentation
en vue de l'élaboration d'un modèle, le mini-colloque et
une analyse de leur démarche. Les deux premiers temps se déroulaient
à l'intérieur d'un cours normal de trois heures. Les étudiants
avaient à élaborer un modèle explicatif et prédictif
en tenant compte à la fois de principes de physique et de biologie.
Ils avaient par la suite à le défendre devant leurs pairs
lors d'un mini-colloque scientifique. Lors de cette activité, les
étudiants étaient confrontés au manque de matériel,
au manque de temps, à la compétition entre les équipes,
à l'espionnage industriel ou à la coopération (parfois
intéressée) tout comme dans le monde de la recherche scientifique.
Pendant le processus de résolution de problèmes, les étudiants
devaient dire à haute voix ce qu'ils faisaient et expliquer ce qu'ils
pensaient. Les discussions étaient enregistrées et transcrites
mot à mot (verbatim). À titre d'exemple, voici un extrait
illustrant la minutie de la transcription :
Tableau 1. Exemple de verbatim
|
|
M :
|
Là, t'as le filtre rouge en avant de l'œil gauche.
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O1
|
E :
|
Lui que je vois, c'est lui.
|
O1
|
M :
|
C'est bleu.
|
E
|
E :
|
J'ferme mon œil gauche, j'ouvre l'œil droit, avec le
bleu, celui que je vois, c'est celui-là...
|
O1
|
M :
|
Le rouge.
|
O1
|
E :
|
C'est le plus près encore. Celui qui est moins
convergent.
|
C1
|
D :
|
Y'a pas de croisé.
|
O1M2
|
E :
|
Donc, y'a pas de croisé. Parce que sinon y'aurait
un croisé, ben là, l'explication est pas très orale,
mais là regarde, ça ferait comme ça pis comme ça...
Le croisé se fait comme à l'arrière de l'image...
Sauf que comment expliquer ça ? ! Let's go, on sort-tu un postulat
?
|
Quant à l'analyse de leur démarche, ils
avaient une semaine en groupe pour transcrire et catégoriser leurs
propos lors de la résolution de problèmes. Une grille leur
était suggérée avec diverses catégories très
générales placées dans un ordre aléatoire (Tableau
2). D'autres catégories pouvaient aussi être ajoutées
au besoin. Les étudiants travaillaient donc avec une grille mixte
(catégories prédéterminées et possibilité
d'autres catégories). Ils devaient produire un schéma-synthèse3
de leur démarche de recherche, à partir de la catégorisation
des diverses étapes ainsi qu'un tableau avec leurs proportions relatives,
discuter de leur démarche de même que des prises de conscience
réalisées lors de ce processus.
Tableau 2. Exemples de catégories
Analyse et interprétation (AI)
1-interprétation du pourquoi des divergences
de résultats
2-élimination d'hypothèses par raisonnement
3-élimination d'hypothèses par expérimentation
4-modification de l'hypothèse originale
Conclusion (C)
1-conclusion ou généralisation
2-élaboration d'un nouveau modèle
Planification (Pl)
1-détermination des variables
2-inventaire des ressources et contraintes matérielles
3-inventaire des stratégies possibles
4-élaboration d'un protocole d'expérimentation
Hypothèses (H)
1-analogies et métaphores
2-élaboration d'hypothèses
3-prédictions des résultats
4-relations causales
Problème (P)
1-définition du problème
2-recherche des concepts impliqués
3-recours à des connaissances théoriques personnelles
4-recours à des connaissances théoriques à partir
de documents
5-recours à des expériences antérieures ou situations
vécues
6-recours à la logique
Observations (O)
1-cueillette des observations
2-prise en compte des limites perceptives
3-comparaison des observations
4-vérification de la reproductibilité
Métacognition (M)
1-manifestation des sentiments face à la tâche
2-faire le point sur le suivi des étapes
3-jugement sur le succès ou l'échec de la démarche
Cognition épistémique (CE)
1-prise de consciences des limites du modèle
2-prise de consciences des limites expérimentales
3-élaboration de critères de jugement
4-jugement sur la valeur et les limites de la conclusion
5-prise de conscience de biais
6-prise de conscience des divers points de vue possibles
La catégorisation des étudiants a été
vérifiée par une méthode ponctuelle aléatoire,
c'est-à-dire que nous choisissions au hasard environ 20 % des énoncés
et que nous vérifions la justesse de la catégorisation. Sur
l'ensemble des énoncés, l'écart variait entre 5 %
et 8 %. Ce faible écart peut s'expliquer par l'autocorrection des
étudiants travaillant dans la même équipe.
Mode d'analyse des réponses à l'examen
Les réponses obtenues à un examen semestriel constituent
un des corpus pour l'analyse de contenu (Bardin, 1986). L'analyse s'est
faite à partir de catégories ouvertes. Nous nous sommes inspirés
des caractéristiques des catégories de L'Écuyer (1990)
(productives, objectivées, exhaustive, mutuellement exclusives,
...) afin de faire émerger nos catégories ainsi que de l'approche
de Strauss et Corbin (1990).
Résultats
Afin de bien illustrer le processus de complexification
de leur vision de « la » démarche scientifique, nous
décrirons : (1) quelques schémas-synthèses illustrant
les diverses étapes utilisées dans leur résolution
de problèmes, (2) le tableau représentant la proportion relative
des étapes, (3) les aspects métacognitifs sur leur processus
de résolution de problèmes et (4) une analyse qualitative
des types de réponses obtenues lors d'un examen semestriel.
Schémas-synthèses
Tous les groupes, sans exception, ont démontré dans leur
schéma l'aspect itératif de leur démarche. Les nombreux
allers-retours « observation-hypothèse » (O-H) étaient
d'ailleurs des plus nombreux. La détermination du problème,
quant à elle, se faisait soit au début par la détermination
des variables ou encore, après un certain temps, après des
observations non systématiques et exploratoires. La planification
en tant que telle, curieusement, ne venait pas au début, mais bien
après la détermination du problème (schémas
1 et 2 ; voir le Tableau 2 pour la signification des sigles).
La première phase était souvent caractérisée
par des observations, sans hypothèses précises, non systématiques,
et ayant, nous semble-t-il, une visée génératrice
d'hypothèses (schémas 1, 2 et 3). Un groupe a même
fait une distinction entre les observations non systématiques et
les expérimentations avec contrôle de variables, dans le but
de vérifier des hypothèses. Il ressort aussi des divers modèles
que plusieurs conclusions intermédiaires ont été nécessaires
pour arriver à une conclusion générale, c'est-à-dire
ici le modèle explicatif de la vision en trois dimensions (schémas
1 et 3). Pour d'autres, après les observations exploratoires, il
y a des phases divergentes visant la détermination du problème
et faisant appel à la recherche des concepts impliqués ou
au recours à des connaissances théoriques personnelles et
aux expériences antérieures (schéma 1). La définition
du problème survient vers la fin et s'apparente davantage au recours
à des connaissances théoriques issues de la littérature
scientifique.
En ce qui concerne les observations, il y a une comparaison
des unes par rapport aux autres de plus en plus importante tout au long
du processus et vers la fin la vérification s'axe davantage sur
la reproductibilité. À la fin, les observations semblent
être faites dans le but d'affiner leur modèle ou encore de
le mettre à l'épreuve. Les activités métacognitives
seraient plus nombreuses au début tandis que la cognition épistémique
le serait davantage vers la fin (schéma 1).
Le schéma-synthèse de l'équipe LLNP-95 (schéma
3) est assez représentatif des diverses étapes utilisées
par l'ensemble des équipes. Au début, les savoirs pratiques
et théoriques de chacun permettent de définir, en partie,
le problème. Par la suite, il y a eu des observations suivies d'hypothèses
à vérifier de façon plus systémique. Suite
à une interprétation, il y a une première conclusion,
qui en tant que nouvelle connaissance permet de raffiner et de définir
le problème en sous-problèmes de façon à mieux
l'analyser. Il semble donc, pour cette équipe, y avoir eu une fragmentation
du problème et une planification inconsciente lors du monitoring
des diverses étapes.
Les étudiants avaient, en plus du schéma-synthèse,
à décrire la proportion relative des diverses étapes
utilisées lors de la démarche de production de connaissances.
Proportion relative des diverses étapes
de la démarche
En analysant la proportion relative des étapes
en pourcentage, on peut noter une prépondérance des observations
(O = 26%) et des hypothèses (H = 17%). Les autres étapes
semblent occuper une portion du temps assez semblable (Conclusion (C) =
10%, Analyse et interprétation (AI) = 11%, Détermination
du problème (P) = 14%). Il est un peu alarmant de constater qu'un
maigre 4% est consacré à la planification ; cependant, si
on additionne les pourcentages des étapes consacrées à
la métacognition, le temps total devient plus rassurant. Ces résultats
corroborent ceux observés dans les schémas synthèses,
c'est-à-dire qu'une planification a priori est peu présente,
mais qu'un retour critique sur le bien-fondé de ce qui a été
fait s'effectue de façon assez systématique. Quant au recul
critique concernant la valeur des résultats et du modèle
produit (Cognition épistémique (CE) = 9%), il est présent
chez toutes les équipes. On peut noter que le nombre d'étapes
varie entre 62 et 287, ce qui est fort loin des six étapes types.
Aspects métacognitifs
Démarche
Les étudiants ont réfléchi sur leur démarche
de résolution de problèmes. Nous citons donc quelques extraits
avant d'en faire l'analyse : « Pour en arriver à résoudre
le problème qui nous était posé, nous avons suivi
une démarche qui est loin d'être unidirectionnelle, si nous
pouvons nous exprimer ainsi. En effet, nos diverses étapes sont
reliées les unes aux autres par des liens qui font référence
aux étapes antérieures ainsi qu'aux étapes suivantes.
Même si nous avions voulu exécuter une démarche linéaire,
il nous aurait été très difficile d'obtenir un résultat
plausible. Il est nécessaire de revenir en arrière pour y
apporter des corrections ou y changer des concepts. Lorsque nous avons
débuté cette résolution de problème, nous n'avions
pas une démarche à suivre préétablie en tête.
Nous avons sélectionné et trié le matériel
qui était à notre disposition pour débuter nos observations.
» (Groupe OPLM-97)
Un autre groupe a aussi fragmenté le problème en sous-problèmes
: « Plutôt que de considérer le problème dans
son ensemble, ce qui aurait pu être un obstacle psychologique important
étant donné l'ampleur du problème, nous avons préféré
une approche fragmentée. Cette approche consiste en fait à
cerner de petites parties du problème. Ainsi, une fois que nous
avions résolu une de ces parties, une fois que nous l'acceptions
comme étant la plus plausible, nous pouvions baser l'étude
des autres concepts sur cette nouvelle « conclusion partielle ».
En fait, il s'agissait presque d'un postulat pour la poursuite de notre
travail. Il semble que dans chaque fragment de résolution, nous
ayons suivi un certain processus. En effet, à partir des conclusions
du fragment précédent, nous nous sommes posés un nouveau
problème. Nous entrions dans un nouveau fragment par des questions
de clarification. Par la suite, par des observations, élaboration
d'hypothèses, recours à des connaissances antérieures
et personnelles, expérimentation, rejet ou acceptation d'hypothèses
et revérification, nous en venions à poser une nouvelle base
qui nous servirait au fragment suivant. » (LLNP-95)
« Pour ce problème, nous n'avons pas vraiment utilisé
une structure rigide de travail en ce sens où nous n'avions pas
de plan de travail ni de façon de construire le modèle explicatif.
Donc, tout de suite après la période réservée
à la mise en situation et à la résolution de problèmes,
nous ne pensions pas avoir été structurés. Nous pensions
plutôt que notre méthode de travail était basée
sur des essais et erreurs ou par tâtonnement. Par contre, lorsque
nous nous sommes penchés sur le verbatim et la catégorisation,
nous nous sommes aperçus que nous avions procédé selon
une certaine structure répétitive. En effet, nos observations
suivaient toujours les hypothèses et les problèmes que nous
nous étions posés auparavant. Toutes ces observations étaient
suivies d'une conclusion. Parfois nous rejetions nos hypothèses.
Toutes ces étapes s'emboîtaient donc dans une certaine structure.
» (Groupe ABCHT-97)
En résumé, il semble assez évident que les étudiants
ont subdivisé le problème en sous-problèmes, et ce,
parfois de manière inconsciente dans l'action. Ce sont les liens
et les retours sur les étapes précédentes qui leur
ont permis de progresser vers leur but. De cette fluidité, émergeait
une cohérence grandissante tout au long du processus.
Connaissances et expériences antérieures
Dans les consignes du travail, une question était posée
quant au rôle des connaissances et des expériences antérieures
dans le processus de résolution de problèmes. Écoutons
donc ce que les étudiants en pensent : « Dans la définition
du problème, il y a également les représentations
antérieures (connaissances et expériences) qui ont pris une
place plus ou moins importante. Nous estimons qu'il y a eu environ 5 %
de la discussion qui laissait place aux représentations antérieures.
Premièrement, si nous regardons la part des représentations
antérieures dans la définition du problème, il est
clair que c'est dans cette partie de notre démarche que nous avons
mis en lumière toutes ces représentations faites dans le
passé. Il nous fallait en effet donner du sens à notre problème
à partir de ce que nous savions et c'est de cette manière
que nous avons pu débuter cette résolution. Ensuite, nous
nous sommes grandement inspirées de ces connaissances pour guider
notre cueillette et notre interprétation de données, car
ce sont à partir de ces savoirs que nous avons donné vie
à notre problème. La part des connaissances s'est avérée
prendre plus d'importance, plus de valeur lorsque nous avons défini
notre problème. Nous devions partir de quelque part et c'est, en
conséquence, sur ces représentations que s'est basée
l'orientation de notre résolution de problème. Pour ce qui
est de la part de savoirs antérieurs dans la cueillette et l'interprétation
de nos données, elle est un peu plus considérable que dans
la définition du problème. Même si dans cette étape
nous nous sommes fiées en majorité aux mêmes connaissances
que celles exploitées dans la détermination du problème,
nous avons eu recours à ces savoirs plus fréquemment pour
établir une explication de nos données. » (Groupe OPLM-97)
Un autre groupe rapporte un effet des savoirs antérieurs sur
les rôles joués dans l'équipe : « Premièrement,
les personnes possédant des connaissances antérieures sur
le sujet ont laissé ceux qui n'en avaient pas faire leurs propres
observations afin de ne pas fausser leur démarche scientifique.
Mais les connaissances antérieures ont quand même servi à
corriger rapidement les erreurs d'observation des autres. En effet, dès
le tout début, Marie-Ève a formulé l'hypothèse
que l'on voyait l'image d'une certaine couleur par le filtre de cette même
couleur. Notons qu'elle faisait cette observation à partir de l'image
et des lunettes de dinosaure. F..... a pu se servir de ses connaissances
antérieures pour réorienter cette observation (pour l'image
des Cheerios) et prouver aux autres, de façon expérimentale,
que la lunette d'une couleur servait à masquer toutes les lignes
de la même couleur sur le filtre. L'expérience consista à
marquer une ligne d'une des deux couleurs par une flèche. Nous appliquions
ensuite le filtre sur le dessin et nous regardions si la ligne marquée
disparaissait ou restait visible. » (Groupe BBCL-95)
Il semble donc que les étudiants ont pris conscience du rôle
des connaissances et des expériences antérieures concernant
la détermination du problème, l'émission d'hypothèses,
le design pédagogique, les choix méthodologiques, le type
d'observation et, finalement, l'interprétation. On est loin ici
des mythes de l'objectivité et du détachement de l'observateur
qui essaie de faire abstraction de son vécu pour observer de l'extérieur,
sans entrer en relation avec l'objet.
Rôle des pairs
Les étudiants se sont penchés sur le rôle des pairs
dans leur processus de construction du savoir. Une équipe rapporte
: « Le travail coopératif permettait un meilleur développement
de nos idées sur le modèle à cause de différentes
raisons. Tout d'abord, chaque membre possédant un bagage de connaissances
propre à son cheminement scolaire et personnel, la résolution
du problème fut plus facile étant donné la grande
quantité de connaissances disponibles pour l'équipe. Puisque
nous étions plusieurs, nos observations étaient nombreuses
et chaque personne pouvait se les approprier et les comprendre. Cela nous
permettait également de comparer les observations et d'identifier
si elles étaient les mêmes pour chacun. À un certain
moment, nous avons pu rejeter une hypothèse parce qu'elle était
confirmée par une seule personne et infirmée par les autres.
Lorsque des solutions étaient suggérées par certains
membres, la critique des autres pouvait pousser plus loin son raisonnement
ou l'amener dans d'autres directions. Enfin, les pairs pouvaient apporter
des informations supplémentaires à nos idées, ils
pouvaient les complexifier ou les compléter. » (Groupe ABCHT-97)
La grande majorité des étudiants semblent avoir compris
l'aspect essentiel du rôle des pairs dans le processus de construction
du savoir. Ce sont autant les aspects cognitifs qu'affectifs qui semblent
entrer en jeu ici. En effet, le partage des expériences et des connaissances
antérieures, des stratégies cognitives des uns et des autres
ainsi que les diverses idées faisant appel à la pensée
créative semblent avoir permis aux étudiants de cheminer
plus rapidement vers un modèle viable. Du côté affectif,
il semble que le rôle des pairs permette de dédramatiser la
situation et offre une rétroaction permettant l'autovalidation du
cheminement.
Type de démarche
Finalement, il était demandé de qualifier leur résolution
de problèmes de démarche scientifique ou non et d'apporter
leurs arguments. Aucune réponse précise n'était attendue
de notre part car c'était leur mode de raisonnement qui nous intéressait.
« Lorsque nous faisons un retour sur la démarche que nous
avons utilisée pour résoudre le problème des images
en trois dimensions, nous constatons que nous avons adhéré
à la démarche dite scientifique. Bien sûr, nous n'avons
pas respecté un ordre préétabli, mais nos interventions
correspondaient aux étapes de la démarche scientifique. Il
est utopique d'espérer trouver la solution à un problème
en respectant un ordre précis des étapes citées précédemment.
Cela est surtout dû au fait que nous sommes soumises à différents
types d'imprévus qui viennent parfois transformer nos hypothèses.
Par exemple, une observation allant à l'encontre de celles faites
plus tôt peut exiger que nous reprenions dès le début
les hypothèses que nous croyions plausibles. Enfin, nous voyons
qu'il est difficile voire impossible de résoudre un problème
en suivant une démarche linéaire sans jamais en déroger.
» (Groupe OPLM-97) Une autre équipe souligne : « Selon
nous, nous pouvons qualifier cette résolution de problèmes
de démarche scientifique puisque nous avons procédé
par plusieurs étapes afin de solutionner le problème qui
nous était posé. Ces étapes sont les hypothèses,
les observations, l'analyse et l'interprétation, la conclusion et
l'élaboration d'un modèle. Contrairement à ce que
nous aurions pu croire, il n'était pas nécessaire de réaliser
ces étapes dans cet ordre précis pour que la démarche
soit qualifiée de scientifique et qu'elle nous permette d'expliquer
le phénomène de la vision en trois dimensions. » (Groupe
ABCHT-97)
Il est intéressant de remarquer que les étudiants ont
su revenir sur leur idée première qui consistait à
dire que si ce n'était pas planifié d'avance, de façon
méthodique, ce n'était pas scientifique. Après avoir
réfléchi sur leur processus, ils concluent que leur démarche
démontrait une cohérence malgré le fait que les étapes
n'étaient pas toujours exécutées dans un ordre précis,
tel que prescrit par « la » démarche scientifique type.
Types de réponses à l'examen semestriel
Lors de l'examen de fin de semestre, c'est-à-dire
environ douze semaines après l'atelier sur la résolution
de problèmes, les futurs enseignants de sciences (n = 22) ont répondu
à la question : « Décrire brièvement une stratégie
d'enseignement afin de faire acquérir aux élèves certaines
notions d'épistémologie concernant la méthode scientifique.
» Nous avons classifié les divers éléments de
réponse dans des catégories ouvertes (non déterminées
a
priori).
Voici un extrait d'une réponse d'un étudiant : «
La résolution de problème qui permet de prendre conscience
que « la » méthode scientifique n'est pas linéaire
et rigide, mais qu'elle comporte un nombre d'étapes pas défini
(sic). » (MO) Plusieurs étudiants (18) (Tableau 3) ont donc
spontanément indiqué la résolution de problèmes
avec retour réflexif (12) sur le processus comme susceptible de
démythifier la méthode scientifique. Certains (2) ont aussi
soulevé l'idée des expériences de laboratoire. Il
ressort assez clairement des résultats que, pour eux, il n'y a pas
qu'une seule façon d'arriver à une solution (ou modèle)
acceptable ; la méthode scientifique serait donc interprétée
comme une approche diversifiée et non unique : plusieurs démarches
possibles (12), non linéaire (11), en plusieurs étapes dont
le nombre n'est pas prédéterminé (3), ... Une seule
réponse laisse perplexe ; en effet, un étudiant indique qu'on
peut obtenir un même résultat sans passer par certaines étapes.
Compte tenu que les étapes suggérées (hypothèse,
détermination du problème, analyse de données, conclusion,
....) sont des plus générales, il est difficile de bien cerner
sa pensée.
Tableau 3. Analyse qualitative des réponses
des futurs enseignants (n = 22) concernant la méthode scientifique.
Résolution de problèmes
|
18
|
Plusieurs démarches possibles (plusieurs
voies, non rigide, pas une méthode précise, non uniforme,
non définie, plusieurs possibilités)
|
12
|
Retour réflexif (prendre conscience, retour
et mise en commun des étapes, analyse de la démarche, métacognition)
|
12
|
Non linéaire (reculs et avancés)
|
11
|
Plusieurs étapes en nombre non défini
|
3
|
Expériences de laboratoire
|
2
|
Pas une seule vérité (plusieurs
réponses satisfaisantes)
|
1
|
Même résultat obtenu sans certaines étapes
(?)
|
1
|
Interprétation globale
Si on compare les résultats obtenus tant dans les
schémas synthèses, que dans la proportion relative des diverses
étapes, les aspects métacognitifs ou encore les résultats
obtenus lors de l'examen, il ressort une excellente convergence quant à
la prise de conscience de l'absence de linéarité de la démarche
scientifique et de son adaptabilité au contexte. En effet, pour
toutes les équipes, il est assez évident que le processus
suivi devient de plus en plus orienté et systématique au
fur et à mesure que progresse la résolution de problèmes.
Au début, il y a des observations un peu aléatoires pour
permettre de susciter des hypothèses, puis, de plus en plus, le
problème et les variables impliquées sont définis
de façon précise. Il y a alors une planification du design
expérimental en fonction d'hypothèses. Ces dernières
sont vérifiées une à une et permettent l'élaboration
d'un modèle. Chez certaines équipes, leur modèle a
même été mis à l'épreuve. Tout au long
de la démarche, il y a eu une redéfinition du problème
et une prise de conscience des limites conceptuelles et expérimentales.
Si on identifie les « grandes » tendances de l'ensemble du
processus, on arrive à quelque chose qui s'apparente à une
démarche type telle que Problème, Hypothèse, Données,
Traitement et Conclusion ou encore Observation, Hypothèse, Expérimentation,
Résultats, Interprétation et Conclusion.
Chaque année, les étudiants sont étonnés
du nombre d'étapes (entre 60 et plus d'une centaine) et de l'absence
de linéarité du processus. En effet, ce dernier semble se
caractériser par des avancées et des reculs, mais avec une
résultante progressant vers une résolution du problème.
Malgré le fait que les diverses équipes prennent un chemin
différent, tant en raison du problème traité que des
connaissances antérieures ou du vécu des membres, toutes
les équipes ou presque réussissent à proposer une
solution jugée recevable par les pairs. D'un processus apparaissant
à l'origine peu cohérent, ressort une cohérence de
plus en plus grande à travers sa mise en œuvre. La démarche
de résolution de problèmes serait donc ici autant créative
que critique ou analytique. De plus, son absence de linéarité
et de planification a priori peut la faire apparaître aléatoire.
Toutefois, lorsqu'on analyse la progression vers le but souhaité,
soit l'élaboration d'un modèle explicatif et productif, on
ne peut que conclure à une logique sous-jacente, même implicite.
Malgré les apparences d'une démarche non « scientifique
» parce que difficilement planifiable a priori, cette démarche
peut être qualifiée de structurée et de cohérente.
En effet, elle est sensible au contexte, elle est autocorrectrice en ce
sens qu'elle réajuste ses actions en fonction des résultats
obtenus et elle atteint le but visé. À la question visant
à savoir si les étudiants avaient l'impression de pouvoir
résoudre un tel problème en suivant « la démarche
scientifique type » en cinq ou six étapes, ils ont majoritairement
répondu non.
La démarche scientifique ou démarche de connaissance ne
serait donc pas linéaire mais bien itérative. Elle comporterait
non pas quelques étapes précises et ordonnées mais,
à la limite, des temps forts et des tendances parmi les innombrables
étapes possibles. L'alternance des pensées créative,
analytique et critique est constante tout au long de la démarche
tout comme dans d'autres démarches humaines telles la prise de décision
ou la conceptualisation. La fameuse démarche scientifique, telle
que présentée dans les manuels scolaires, serait en fait
une généralisation des centaines d'étapes réellement
effectuées et non pas les seules cinq ou six étapes présentées
sous la forme d'une recette à suivre. On serait ici en présence
d'une logique de justification a posteriori et non d'une logique
heuristique dans l'action.
Si on analyse un peu plus en profondeur la démarche utilisée
par les diverses équipes, il est loisible de se questionner. Commence-t-on
par des hypothèses, des observations ou un problème ? Selon
nous, il s'agit peut-être là d'une fausse question. Le fait
ici de s'attarder à relever le défi d'élaborer un
modèle explicatif est déjà en soi une problématisation
de la question. Peut-on observer sans théories implicites ou hypothèses
préalables ? Selon Chalmers (1988), Astolfi et Develay (1989), Larochelle
et Désautels (1992), et Fourez (1991, 1994), la réponse serait
non et nous abondons en ce sens. Il faudrait cependant distinguer les hypothèses
servant à la description des observations de celles qu'on veut soumettre
à l'épreuve expérimentale (même si l'épreuve
ultime est encore ici une utopie falsificationiste). Les premières
hypothèses ou théories implicites sont davantage des hypothèses
auxiliaires permettant, entre autres, la description des observations ou
du procédé méthodologique. Les secondes, qu'on pourrait
qualifier d'hypothèses expérimentales, seraient générées
tant par la logique que les connaissances antérieures. Cette distinction
théorique nous semble importante afin de prendre un peu plus de
recul face à ce dilemme. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne peut pas,
à certains moments, y avoir fusion de ces deux types en une seule
et même entité.
Prospectives didactiques
Hodson (1988) prône comme finalités d'une
éducation scientifique, la capacité à utiliser une
théorie pour prédire, expliquer et critiquer dans le but
d'élaborer de nouvelles hypothèses et de les mettre à
l'épreuve ; les finalités ne concerneraient donc pas seulement
l'acquisition de connaissances factuelles et théoriques ou encore
le développement de compétences techniques et d'habiletés
intellectuelles. Malheureusement, dans le quotidien des classes de science,
c'est moins le processus de construction des connaissances lors
de leur appropriation par les étudiants qui est valorisé
que le produit de la mémorisation, c'est-à-dire le contenu.
De plus, comme on semble considérer les connaissances comme vraies
et représentatives d'une réalité, plutôt que
comme des hypothèses viables en réponse à un problème
donné, on fait peu de cas de remettre ces connaissances dans le
contexte qui leur a donné naissance. Le fait de ne pas en traiter,
faute de temps et afin de « passer » le programme, crée
selon nous un curriculum implicite qui fait émerger une image de
la science déformée et incite à la simple mémorisation.
L'information véhiculée dans les médias électroniques,
les journaux et certains manuels scolaires présente souvent l'activité
scientifique hors de ses contextes social, politique, religieux, économique,
éthique ou historique.
De nombreux enseignants vivent un certain malaise à enseigner
« la » démarche scientifique car les élèves
réalisent bien que ça ne correspond pas à leur façon
d'apprendre ou de résoudre des problèmes ; peuvent-ils alors
conclure qu'ils ne sont pas faits pour une carrière scientifique
? Doit-on quand même enseigner ce protocole en indiquant que les
scientifiques ne le suivent pas ? Doit-on les guider et leur faire réaliser
a
posteriori la démarche utilisée ? Quel est le rôle
des pairs durant le processus de construction de la connaissance et durant
l'étape de justification de la démarche et des résultats
?
Diverses stratégies pédagogiques peuvent être utilisées
pour faire évoluer ou complexifier la vision de la science qu'ont
nos étudiants : les études de cas historiques, les controverses
scientifiques actuelles, les débats concernant des sujets science-technologie-société,
les travaux pratiques, les discussions de groupe... Nos étudiants
arrivent en classe avec des compétences en rapport à leur
capacité à résoudre des problèmes de la vie
de tous les jours ; pourquoi ne pas réinvestir ces compétences
dans leur démarche scientifique ? Afin de s'appuyer sur les connaissances
antérieures et les habiletés des élèves, l'organisation
des travaux de laboratoire devrait leur permettre de vivre un processus
réel de construction de connaissances. Cette démarche ne
vise pas à réinventer la roue, mais bien à laisser
l'étudiant réinventer son propre savoir dans une démarche
signifiante de résolution de problèmes. L'excitation de la
découverte, telle qu'elle est vécue dans certains clubs-sciences,
ne peut se vivre par la simple exécution de protocoles de laboratoire.
Conclusion
Certains font une équivalence entre démarche
scientifique et démarche expérimentale au sens de données
provoquées et de contrôle de variables ; en astronomie, en
éthologie, en botanique, on retrouve de nombreux exemples de démarches
scientifiques non expérimentales. L'appellation méthode
scientifique, plutôt que démarche scientifique,
est plus restrictive (« Méthode : ensemble ordonné
de manière logique de principes, de règles, d'étapes
permettant de parvenir à un résultat ; démarche :
manière de penser, de raisonner », Petit Larousse Illustré,
1996) ; nous favorisons donc l'appellation démarche scientifique.
Ce dernier qualificatif pourrait être conservé en autant qu'il
ne s'agit pas d'associer de façon exclusive certains processus de
pensée à la seule construction de savoir scientifique. Quant
à nous, nous préférons l'expression « démarche
de connaissance » à « démarche scientifique »
pour son caractère plus éclectique et propre autant à
la construction du savoir par l'apprenant qu'à la construction du
savoir par les scientifiques.
Ces distinctions peuvent apparaître futiles, mais plusieurs conséquences
peuvent en découler si on persiste à vouloir confiner les
diverses démarches utilisées par les scientifiques en une
seule et unique démarche type. Par exemple, si on incite les étudiants
à suivre une démarche linéaire on ne prend pas en
compte leur vécu et leurs compétences antérieures
en résolution de problème. Si les étudiants sentent
que le processus de construction du savoir scientifiques est encadré,
linéaire, dépourvu de créativité et si loin
de leur démarche personnelle, seront-ils portés à
se percevoir comme de futurs scientifiques ? Par rapport à la science,
il semble que cette réification de la démarche scientifique
entraîne une méconnaissance des processus permettant de construire
les connaissances scientifiques et donc, un certain attrait à ne
voir dans la science qu'un ensemble établi de vérités
qu'on n'a qu'à mémoriser. Un certain scientisme peut s'ensuivre
: une incapacité à prendre un recul critique face aux experts
scientifiques qui ont suivi « la » démarche scientifique
pour découvrir « objectivement » la « vérité
». Ici, il ne s'agit pas de tomber dans l'excès contraire
et de faire croire aux élèves que la science est une entreprise
totalement arbitraire, malhonnête et sans méthode. Par exemple,
peut-on taxer les grands chefs cuisiniers de ne pas avoir de méthode
parce qu'ils ne suivent pas aveuglément une recette ? Quelle idée
de science veut-on perpétuer ?
Références
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des sciences, Paris, Presses universitaires de France, nº 2448.
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Montréal, Service pédagogique de l'Université de Montréal.
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( Traduit de l'anglais par Michel Biezunski), Paris, Éditions La
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Conseil de la science et de la technologie (1994).
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collégial : des priorités pour un renouveau de la formation,
Québec, Conseil des collèges.
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Scientific Method (SM-14), Second Student Edition, Fort Lauderdale,
Fl, Edmund Scientific, Co.
FOUREZ, G. (1991). La construction des sciences,
Montréal, Éditions du Renouveau Pédagogique.
HODSON, D. (1988). « Toward a philosophically
more valid science curriculum », Science Education, vol. 72,
nº 1, p. 19-40.
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of science and science education for action », Journal of Curriculum
Studies, vol. 26, nº 6, p. 601-611.
KLAPPER, M. (1995). « Beyond the Scientific
Method : Should Science Be Taught as a More Creative Process ? »,
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Teacher, vol. 62, nº 6, p. 36-40.
L'ÉCUYER, R. (1990). Méthodologie
de l'analyse développementale de contenu_ Méthode GPS et
concept de soi, Sillery, Qc, Presses de l'Université du Québec.
LAROCHELLE, M. et J. DÉSAUTELS (1992). Autour
de l'idée de science. Itinéraires cognitifs d'étudiants
et d'étudiantes, Québec/Bruxelles, les Presses de l'Université
Laval et De Boeck-Wesmaël.
STRAUSS, A. et J. CORBIN (1990). Basics of qualitative
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BARDIN, L. (1986). L'analyse de contenu, Paris,
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MILLAR, R. (1994). « What is 'scientific method'
and cant it be taught », Teaching science. R. Levinson (Ed.),
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SIMONELLI, R. (1994). « Finding Balance by Looking
beyond the Scientific Method », Winds-of-change, vol. 9, nº
4, p. 106-112.
STOREY, R. D. et J. CARTER (1992). « Why the
Scientific Method ? Do We Need a New Hypothesis ? », Science Teacher,
vol. 59, nº 9, p. 18-21.
1. « La » est mis entre
guillemets justement pour alerter le lecteur que nous ne croyons pas qu'il
en n'existe qu'une.
2. Les sigles O1, E, C1 correspondent
aux catégories du Tableau 2. Les deuxièmes lettres (M, E,
D) représentent la première lettre du nom des membres de
l'équipe.
3. À ne pas confondre avec
le modèle théorique explicatif et prédictif qu'ils
avaient à élaborer.
|