La Presse
Environnement, lundi 18 octobre 2004, p. ACTUEL9

Kyoto, un protocole qui fend l'air?

Fortin, Jean-Philippe

La Russie ratifiera le protocole de Kyoto cette année. Le président Vladimir Poutine a d'ailleurs confirmé au premier ministre Paul Martin, en visite chez lui la semaine dernière, qu'il ferait ratifier le protocole par la Douma. La Chambre basse russe, plutôt loyale envers la présidence, ne devrait pas trop se faire tirer l'oreille, croient les observateurs.

Pour certains, le protocole de Kyoto, c'est trop peu, trop tard. D'autres leur répondent qu'avec le protocole disciplinant la communauté internationale, notre tendance grise risque de se teinter de vert. Et c'est tant mieux.

C'est l'avis de John Bennet, spécialiste des changements climatiques au Sierra Club du Canada. " Si la seule chose qui comptait avec Kyoto, c'était de réduire nos émissions, ce serait en effet trop peu, trop tard ", commente-t-il au téléphone. Ce n'est pas le cas, mais il est vrai que l'horizon se couvre... de gaz à effet de serre (GES).

Les concentrations de CO2, principal GES, ont augmenté de manière inquiétante au cours des deux dernières années. Leur croissance serait passée de 1,5 partie par million (ppm) à plus de 2 ppm, rapportait The Guardian la semaine dernière.

La situation est grave, estime au téléphone Steven Guilbeault, responsable des questions relatives au réchauffement planétaire pour Greenpeace. " Les scientifiques s'inquiètent, car, si c'est le cas, on serait mal pris. On n'aurait plus quelques décennies, mais quelques années devant nous avant d'être aux prises avec les changements climatiques. "

Sur son blogue, l'auteur Mark Lynas, qui a publié le printemps dernier High Tide, essai sur les changements climatiques, expose le problème. " Cela ne peut vouloir dire que deux choses, écrit-il: ou bien les humains ont rejeté plus de CO2 en brûlant plus de combustibles fossiles (ils ne l'ont pas fait) ou la terre a cessé d'absorber- ou commencé à libérer- du CO2. Dans ce dernier cas, cela voudrait dire que la rétroaction positive du cycle du carbone- prévue pour 2050 et après- se produirait déjà... " Ainsi, le phénomène de l'effet de serre s'amplifierait parce que la terre ne peut plus " supporter " nos émissions. Une accélération des pires conséquences du réchauffement global en découlerait: sécheresse, inondations, fonte des glaciers et montée des eaux.

Car plus de GES dans l'atmosphère correspond à des températures plus chaudes. Depuis le début de l'ère industrielle, leur concentration a augmenté de 30 % et la température, de 0,8 degrés Celsius. D'ici 2100, prédisent les analyses, les concentrations gazeuses doubleront et le thermomètre grimpera de 1,4 à 5,8 degrés Celsius. Mais, avec le phénomène de rétroaction appréhendé, ça pourrait être pire- se produire plus tôt que prévu, en tout cas.

Mieux que rien

Un lance-pierre pour lutter contre un géant, Kyoto? Un ridicule va-tout? Questionné par courriel, Mark Lynas n'est pas de cet avis. " C'est de beaucoup mieux que rien. Si la Russie avait décidé de ne pas le ratifier, 10 années de négociations seraient perdues. Si Kyoto n'est qu'un tout petit pas, au moins nous allons dans la bonne direction. "

Car du seul point de vue de la réduction des GES, le défi posé aux 127 des 159 pays qui ont ratifié le protocole de Kyoto (si on compte la Russie) est titanesque. Rappelons que le protocole exige des signataires qu'ils réduisent en moyenne de 5,2 % sous le niveau de 1990 leurs émissions d'ici 2012. Pour le Canada, la barre est fixée à 6 %.

Mais depuis 1990, les émissions des pays industrialisés ont crû de 17 % en moyenne, de 19,6 % au Canada.

Les scientifiques, rappelle le Sierra Club du Canada sur son site Internet, estiment que la réduction du Canada devrait être 10 fois supérieure à l'objectif du protocole de Kyoto, si l'on veut éviter les changements climatiques.

Mais le protocole ne se résume pas à son objectif de réduction des GES. " La ratification de Kyoto est un moment historique, rappelle John Bennet. C'est la première fois qu'un traité sur le réchauffement planétaire va réunir la communauté internationale. " Le protocole servira de catalyseur aux chimies politiques et diplomatiques souvent jugées lentes à agir sur un problème dont la solution exigera des décennies.

C'est aussi l'avis de Steven Guilbeault, de Greenpeace: " Le protocole va permettre la mise en place d'une structure contraignante au plan international. "

Déjà, en Europe, les dispositions du protocole ont force de loi. Et l'avantage, c'est qu'au plan international, les pays pauvres en bénéficieront aussi pour leur développement, à travers le système de crédits des émissions de GES. Obtenus grâce à l'implantation de solutions moins polluantes, ils pourront être échangés entre États.

À ce sujet, le Financial Times a dit, mardi dernier, que les échanges ont triplé à la Bourse européenne depuis que la Russie a montré son intention de ratifier le protocole, rappelle Steven Guilbeault. Il y voit un signe que la " solution Kyoto " marche.

Même le très conservateur The Economist partage cet avis. Dans son numéro du 7 octobre, il jugeait que le marché des émissions de carbone constituait " la meilleure raison de tenir à Kyoto ", estimant que cette bourse est la solution à un problème que le politique ne peut régler à lui seul. Il y voyait même un moyen d'amener la Chine et les États-Unis- deux pollueurs, et non les moindres- à emboîter le pas.

C'est un peu l'effet qu'escompte John Bennet sur le gouvernement canadien. " Nous n'avons pas vu beaucoup de progrès jusqu'à maintenant, observe-t-il, nous n'avons qu'élaboré des politiques. "

Pour l'heure, tout reste à faire. Steven Guilbeault rappelle combien le récent discours du Trône était faible en la matière: " C'en était gênant pour Paul Martin. On a fait du copier-coller du discours de février; c'est assez pathétique. "

Des trois milliards promis pour la lutte contre les changements climatiques, il reste encore un milliard à verser. Pour l'heure, le gouvernement compte sur la participation volontaire de ses citoyens corporatifs.

" Mais le Canada est reconnu pour son respect de ses engagements internationaux. S'il veut garder cette réputation, il s'y mettra ", fait remarquer John Bennet, assez confiant.

Selon lui, il faudra adopter des lois pour contrôler les émissions des gros émetteurs industriels ainsi que des règlements aussi sévères qu'en Californie pour les autos. Mais surtout, " il faudra regarder de plus près les 50 à 60 programmes (fédéraux) qui existent déjà. Ils manquent d'effectifs et de ressources ", déplore-t-il. Ils devraient être plus accessibles et plus efficaces. Il cite le cas d'un programme qui favorise la construction de bâtiments publics éco-énergétiques: " 500 constructions en ont bénéficié en six ou sept ans, mais, en même temps, 3600 autres bâtiments ont été construits. "

" Tous ces programmes sont pleins de bon sens, mais trop lents, trop petits. Le gouvernement doit leur donner l'élan dont ils ont besoin. "

Si le ciel bas et lourd des GES pèse sur nous comme un terrible couvercle, le protocole de Kyoto n'est pas trop peu, trop tard.

Il met la pression nécessaire pour que nous n'étouffions pas dans cette marmite.


Illustration(s) :

Sansfaçon, Patrick
Des manifestants de Greenpeace, dont Steven Guilbault (photographié ici devant l'ambassade de Moscou à Montréal), tentent d'inciter la Russie à ratifier le protocole de Kyoto, en octobre 2003. Le président Vladimir Poutine semble avoir entendu leur appel; il s'apprêterait à faire ratifier le document par la Chambre basse russe.


Catégorie : Société et tendances
Sujet(s) uniforme(s) : Réchauffement de la planète; Politique extérieure et relations internationales
Taille : Long, 896 mots

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Doc. : news·20041018·LA·0070





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