Environnement
Les coquillages en danger
Côté, Charles
Les océans de la planète nous rendent un fier service: ils absorbent chaque jour 20 millions de tonnes de gaz carbonique émis par l'activité humaine. Cela amoindrit les changements climatiques, parce que le gaz carbonique (CO2) est le principal gaz à effet de serre.
Mais ce pourrait être au prix de la préservation de tout l'écosystème marin car, en absorbant tout ce gaz, les océans s'acidifient suffisamment pour compromettre la formation des coquillages.
C'est ce qui ressort de deux études majeures publiées au coeur de l'été dans la revue Science.
La première de ces études a permis de déterminer que les océans ont absorbé presque la moitié du gaz carbonique émis par les véhicules et les usines depuis le début de la révolution industrielle. La seconde indique que le taux d'acidité (ou pH) des océans s'est légèrement modifié. Il est aujourd'hui moins basique- ou plus acide- qu'autrefois.
Le changement est subtil, mais il est suffisant pour empêcher certaines espèces de se développer correctement. Comme ces espèces forment la base de la chaîne alimentaire des océans, les scientifiques craignent que ce changement bouleverse les écosystèmes océaniques. " C'est la première fois qu'on mesure réellement les changements dans l'océan dus aux émissions de CO2 ", dit Michael Scarratt, chercheur en océanographie biologique à l'Institut Maurice-Lamontagne, de Pêches et Océans Canada. Il n'a pas participé à l'étude, mais il a pris connaissance des résultats.
" C'est très troublant, dit-il. Cela souligne encore une fois à quel point tout est imbriqué. Maintenant, on ne peut plus dire: envoyons le CO2 dans les airs et tant pis. "
Dix ans de mesures
Les recherches ont été réalisées dans plusieurs pays par des équipes de scientifiques, dont C.S. Wong, chercheur émérite de Pêches et Océans Canada à Victoria. Ils ont examiné la composition chimique des océans pour déterminer quelle quantité de gaz carbonique absorbent les océans.
Le gaz carbonique est composé d'un atome de carbone et de deux atomes d'oxygène. Il est formé par la combustion du pétrole, du charbon ou du bois.
" Nous avons pris des mesures pendant 10 ans et il a fallu cinq ans pour analyser les données ", explique Chris Sabine, du Pacific Marine Environmental Laboratory, un centre de recherche du gouvernement fédéral américain. M. Sabine est le coauteur principal des deux articles avec son collègue Richard Feely, de l'Institut de géophysique de UCLA.
" Les océans absorbent le CO2, qui est un gaz acide, explique-t-il. En se mêlant à l'eau, il forme de l'acide carbonique. Cela consomme des carbonates, la matière que les organismes utilisent pour fabriquer leurs coquilles. "
" On prévoit que le taux de gaz carbonique va doubler dans l'atmosphère d'ici la fin du siècle, poursuit-il. À un tel taux de CO2, la formation de coquille ralentit jusqu'à 55 %. Nous avons exposé des ptéropodes, espèce très répandue d'escargot de mer, à ce taux de CO2. En moins de 48 heures, ils commençaient à se dissoudre. "
Les pêcheries aussi?
La recherche dans ce domaine est encore embryonnaire. La science en connaît beaucoup moins sur la haute mer que sur les écosystèmes terrestres. Mais M. Sabine entrevoit d'autres impacts. " Ce qui pourrait se produire, c'est que ces animaux microscopiques seront incapables de grandir, dit-il. Il est très probable que cela nuira à d'autres organismes plus loin dans la chaîne alimentaire. "
Éventuellement, les pêcheries, déjà mal en point partout sur la planète, pourraient être touchées. " Cela aura des impacts sur la productivité marine ", dit M. Sabine.
Le hic, c'est que dans beaucoup de pays, le CO2 n'est pas considéré comme un polluant. En effet, il n'a aucun effet toxique: c'est le gaz qui fait que les boissons sont pétillantes. Mais avec les preuves qui s'accumulent sur l'impact du CO2 sur l'ensemble des écosystèmes, tant par le réchauffement climatique que sur les océans, cela pourrait changer.
Environnement Canada ne le considère pas comme un polluant, mais les entreprises sont obligées de déclarer leurs émissions de CO2 en prévision de la mise en oeuvre du protocole de Kyoto. Au Québec, dans son projet de réforme de la loi sur l'environnement, le ministre Thomas Mulcair veut inclure le CO2 parmi les polluants.
Aux États-Unis, George W. Bush s'était engagé en 2000 classer le CO2 comme polluant, mais il est revenu sur sa promesse. Le débat se poursuit à l'Agence étasunienne de protection de l'environnement (EPA). Par contre, une demi-douzaine d'États classent maintenant le CO2 comme polluant.
" Il faut clairement considérer le CO2 comme un polluant, affirme Steven Guilbeault, de Greenpeace. La définition classique du polluant est qu'il a un impact sur un écosystème donné. C'est le cas à l'échelle du globe. C'est vrai qu'il existe sous une forme naturelle. Mais le problème, ce n'est pas le CO2 d'origine naturelle. "
Catégorie : Société et tendances
Sujet(s) uniforme(s) :
Réchauffement de la planète; Pollution de l'air
Taille : Moyen,
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Doc. : news·20041018·LA·0062
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