Libération, no. 7189
TERRE, mercredi 23 juin 2004, p. 11

Le professeur Michael Oppenheimer s'alarme du changement climatique :
«Les Américains s'inquiètent, mais Bush ne bouge pas»

ROUSSELOT Fabrice

New York, de notre correspondant.

Professeur à l'université de Princeton (Etats-Unis), Michael Oppenheimer s'est alarmé, lors d'une conférence de l'Association américaine pour l'avancement de la science, du refus de l'administration Bush de faire face aux conséquences des changements climatiques.

Vous avez lancé un nouveau cri d'alarme sur le réchauffement de la planète. Mais l'administration Bush ne semble pas prête à agir...

Elle a pourtant sa propre équipe de scientifiques et le vice-président, Dick Cheney, a recueilli des avis de la communauté scientifique au début de son mandat. Il ne s'agit donc pas d'un manque d'information : on a plutôt l'impression que le Président n'est pas prêt à faire quoi que ce soit face au réchauffement du climat. Avant d'être à Washington, cette administration était déjà en contact avec les compagnies d'énergie. Et, depuis, elle a montré une forte «sensibilité» aux demandes de ce secteur... qui a tout intérêt à ce que rien ne bouge. Certains disent même que les larges contributions financières de l'industrie de l'énergie à la campagne de Bush n'ont pas été faites par hasard. En outre, cette administration a décidé de ne pas coopérer avec les autres nations. Or, sur un sujet comme le climat, il faut une coordination internationale. Mais une partie de l'électorat conservateur est hostile aux grands accords internationaux. Bush n'a donc aucun intérêt à s'opposer à l'extrême droite de son parti.

Les scientifiques du gouvernement sous-estiment-ils le réchauffement de la planète ?

J'ai rencontré le Dr John Marberger, le responsable du Bureau de la technologie scientifique, l'autorité scientifique gouvernementale à Washington. Il m'a clairement fait savoir qu'il comprenait la gravité de la situation. Mais aussi qu'il était «intimidé» par l'ambiance qui régnait au sein de l'administration Bush et par l'opposition de la Maison Blanche. Il ne semble pas avoir eu la volonté d'aller parler directement au Président et de risquer sa crédibilité

Sommes-nous dans une situation d'urgence ?

Nous sommes déjà confrontés à certains effets : des vagues de chaleur plus nombreuses, beaucoup d'humidité, moins de froids extrêmes, des tempêtes et des pluies qui augmentent les risques d'inondations. Le niveau de la mer monte ; la glace fond sous toutes les latitudes, ce qui pose problème aux régions côtières. Les saisons évoluent, avec un printemps plus précoce. Autant d'éléments qui signalent un changement phénoménal.

L'opinion publique s'en soucie-t-elle ?

Les sondages montrent que les Américains sont aussi préoccupés que les Européens. Mais les inquiétudes des uns et des autres ne sont pas relayées à Washington et on ne progresse pas, ou presque.

Quelles seraient les mesures à prendre ?

Si l'Amérique réduisait sa consommation d'énergie per capita à un niveau comparable à l'Europe, ce serait déjà un grand progrès. Le bon exemple a été donné par la Californie il y a deux ans, quand l'Etat, privé d'électricité, a encouragé la population à réduire sa consommation en remplaçant les vieux frigos ou l'air conditionné par des modèles plus performants. On peut aussi l'inciter à réduire la consommation d'essence. Sans parler des émissions de certaines industries. Tout cela est assez facile à faire et, pourtant, le gouvernement ne bouge pas. Mais peut-être que le changement viendra des Etats qui passent peu à peu des lois régionales pour limiter les émissions industrielles de gaz à effet de serre.

Un changement d'administration, en novembre, ferait-il évoluer la politique américaine sur ce sujet ?

Si Bush est réélu, le seul changement possible viendra des Etats qui, en adoptant des législations locales, feront pression sur l'Etat fédéral. La situation pourra alors évoluer sans pour autant que Bush rallie le protocole de Kyoto. En cas de changement d'administration, il me semble que les Etats-Unis seraient plus conciliants envers la communauté internationale et s'engageraient vers une réduction des émissions à l'échelle nationale.

Catégorie : Société et tendances
Sujet(s) uniforme(s) : Politique extérieure et relations internationales; Réchauffement de la planète
Sujets - Libération : Bush George Jr; Climat; Conférence; Économie d'énergie; Effet de serre; Etats-Unis; Industrie pétrolière; Politique de l'environnement; Président de la République; Prévention; Recherche scientifique
Type(s) d'article : INTERVIEW
Édition : QUOTIDIEN PREMIERE EDITION
Taille : Moyen, 470 mots

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Doc. : news·20040623·LI·0LI20040623018





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